Congrès PS : Les pragmatiques et les dogmatiques

Publié le par Johan

Contribution de Pierre  MICOUD/  DA74 qui analyse  un édito de P.VAL


Traîtres et Crétins: Un Edito de Philippe VAL Charlie Hebdo du mercredi 31 août 2005.


La famille de gauche est divisée en deux sous familles, les traîtres et les crétins. Et le divorce menace. Depuis longtemps. Depuis la création de la SFIO en 1905. Jules Guesde, issu du courant marxiste, a été le premier crétin historique officiel, et Jean Jaurès, le fondateur, le premier traître. Les traîtres et les crétins se sont succédé, combattus, alliés, pendant un siècle.

Un siècle de cette longue scène de ménage (J’ai supprime ici un passage sur l’affaire Dreyfus. Un peu hors sujet).

Jusqu’en 1920, bon an mal an, les traîtres et les crétins cohabitèrent au sein de la SFIO. Puis ce fut de nouveau le divorce, et la création du Parti communiste par les crétins qui ne voulaient pas faire le jeu du traître Léon Blum. Il était traître car il ne croyait pas à la nécessité de la suspension des droits démocratiques pour réussir la révolution bolchevique. Et Marcel Cachin était un crétin qui, après un voyage dans la Russie des soviets, revint convaincu qu’après quatre ans de guerre mondiale une bonne dictature ferait du bien aux survivants.


Dans les année trente, certain crétins entamèrent une nouvelle procédure de divorce, parce que le traître Blum n’était pas assez radical. C’est ainsi que naquit le Parti populaire socialiste du crétin Jacques Doriot, vieux militant socialiste exclu du Parti des traîtres en 1934 pour avoir constitué une aile radicale, une sorte de parti altermondialiste avant la lettre. On le retrouve à Radio Paris pendant la guerre, puis il fonde la Légion des volontaires français, qui va donner un coup de main à l’armée allemande sur le front russe. C’est sous l’uniforme allemand qu’il meurt sous la mitraille alliée en 1945.

Après la guerre, pour aller vite, il a fallu toute l’habileté du traître Mitterrand pour réussir à mettre dans sa poche les crétins qui soutenaient Staline. Comme beaucoup de traîtres, Mitterrand était un visionnaire. Il avait deviné que les immenses territoires que l’on appelait le Bloc communiste finiraient par se libérer des crétins qui les opprimaient.

A l’époque, historiquement parlant, le crétinisme était déclinant. Et s’allier avec un mouvement en voie d’effondrement ne mangeait pas de pain. En gros, les crétins n’avaient pas tellement le choix. Refuser la main tendue des traîtres, c’était se résoudre à l’impuissance, puis à la disparition. Lorsque, effectivement, le communisme s’effondra, il se produisit une chose que les traîtres n’avaient pas prévue. L’emprise territoriale du communisme disparut en effet, si l’on fait exception de ses résidus mutants que sont les régimes chinois, nord-coréen et cubain, mais en revanche, le crétinisme survécut.


Mieux encore, tant que le crétinisme régnait en maître de l’autre côté du rideau de fer, les traîtres avaient beau jeu d’utiliser comme un repoussoir tous ses échec : économie en ruine, absence de libertés publiques, répression massive. Le crétinisme en action ne cessait de prouver qu’au fond les traîtres avaient raison. C’est ce qui a fait la fortune de la social-démocratie à partir des années soixante-dix. Pour ceux qui n’auraient pas encore compris, la social-démocratie est à la traîtrise ce que la Bible est au monothéisme.

Mais maintenant que le « crétinisme en action » a quasiment disparu et que la mémoire historique et la culture politique sont remplacées par la biographie de Zidane, le « crétinisme en pensée » relève la tête. Maintenant qu’il ne s’applique plus nulle part, l’amnésie générale qu’on essaie de nous vendre à la place du bonheur permet au crétinisme de vanter de nouveau ses propres mérites sans que la réalité vienne le contredire. A part la réalité nord-coréenne et la réalité cubaine. Mais elles sont microscopiques, et leur crétinerie est explicable, non par leur idéologie, mais par leur isolement dans un monde majoritairement converti à la traîtrise.

Si l’on oublié ce que l’on doit aux traîtres : Les libertés publiques, les congés payés, la réduction du temps de travail, la libération des mœurs, j’en passe et des plus futiles, on se souvient en revanche avec émotion que les crétins nous ont fait rêver d’un avenir radieux.


Un homme comme Laurent Fabius le sait. Longtemps, il a fait route avec les traîtres. Mais, comprenant que non seulement les crétins ont survécu à l’effondrement du communisme, mais qu’ils en sont sortis impunis et stratégiquement renforcés par le fait que les conséquences de leur crétinisme avaient disparu de l’actualité, lui et ses amis ont admis qu’ils étaient dans l’erreur. Et ils ont eu le courage et l’intelligence de rejoindre le camp des crétins, en passe de redevenir plus nombreux que les traîtres.

Car la démocratie commande, dans un premier temps, de s’allier avec les plus nombreux si l’on veut accéder aux affaires. Même si, ensuite, la démocratie ne sert plus à grand-chose, puisque ce qui définit le crétin, c’est qu’il est comme un poison qui se croit malin en votant contre l’eau sous prétexte qu’il ne la trouve pas assez claire. Alors que le traître, lui, préfère voter pour des filtres.


Cela dit, en tant que traître, je ne peux pas être objectif. J’ai toujours tendance à voir la paille dans l’œil du crétin sans voir la poutre dans l’œil du traître. J’ai d’ailleurs d’excellents amis crétins qui me le font remarquer assez souvent pour que j’en sois ébranlé.

Si l’alliance des traîtres triomphants et des crétins déclinants était envisageable à la fin des années soixante-dix, et si, effectivement, elle a permis à la gauche d’arriver au pouvoir en 1981, l’histoire ne peut pas se répéter. Car l’éthique victorieuse des traîtres pouvait se compromettre à peu de frais avec l’éthique en berne des crétins. Aujourd’hui que l’éthique des crétins a repris du poil de la bête, puisque, depuis vingt-cinq ans, elle n’est plus responsable de rien d’autre que de ses discours démagogiques et que l’éthique des traîtres est plombée par les résultats mitigés de ses passages récents au pouvoir, la situation est l’inverse de celle de 1981. En 81, ce sont les traîtres qui faisaient rêver. Aujourd’hui, ce sont de nouveau les crétins. Or, de mon point de vue de traître, les dangers que les crétins font courir à l’humanité sont sans commune mesure avec ceux dont les traîtres sont porteurs. Car le traître est prudent, alors que le crétin lâche la proie pour l’ombre.


Aujourd’hui, si l’alliance avait lieu entre les traîtres et les crétins, ce serait au bénéfice exclusif des derniers. C’est pourquoi les traîtres n’ont plus aucun intérêt à chercher à digérer une bête devenue plus grosse qu’eux. En admettant qu’une réconciliation finisse par intervenir pour des raisons opportunistes - les prochaines élections générales – et quelle permette à la gauche unis de revenir au pouvoir, quelle politique étrangère, par exemple, serait appliquée ? Celles des traîtres, proeuropéens, et pour une paix négociée israélo-palestinienne ? Ou celle des crétins, souverainistes et favorables à une victoire des Palestiniens entraînant à terme la disparition de l’Etat d’Israël ? La France sera-t-elle un partenaire critique de l’Amérique, comme le disent les traîtres, et radicalement opposé à l’islam politique ? Ou un ennemi de l’empire américain et allié des islamistes, comme le rêvent les crétins ? Quelle politique économique ? Ouverte, et régulée à la fois par des instances internationales et une fiscalité nationale adaptée, comme le veulent les traîtres ? Ou protectionniste et hostile à toute ingérence supranationale, comme le veulent les crétins ?


Dans l’identité même de la gauche, celle des crétins comme celle des traîtres, il y a un problème : comme elle est porteuse d’espoir, elle est condamnée à produire de l’insatisfaction. La gauche des crétins parce qu’elle ment, la gauche des traîtres parce qu’elle déçoit. Sa révolution consisterait à remettre à plat les mots qui la constituent et qui, désormais, ne veulent plus dire la même chose selon qu’ils sont prononcés par les uns ou par les autres. Moyen-Orient, marché, médias, concurrence, Europe, libéralisme, culture, mondialisation, Etats-Unis, élites, antiracisme, droits de l’Homme, démocratie, forment désormais le calamiteux lexique de l’impuissance de la gauche. Cailloux dérisoires que les traîtres et les crétins se balancent à la tête, ils ont quitté le champ du débat qui affine leur sens pour rejoindre la cour de récréation des insultes où ils ne servent plus que de marqueurs entre les bons et les méchants, comme la couleur des maillots des footballeurs permet aux supporters de s’y retrouver pendant le matche.

Pendant ce temps-là, les loyers flambent, les chômeurs chôment, (….), les immigrés brûlent dans des immeubles pourris, la précarité s’érige en système, parce qu’au fond à droite, les traîtres et les crétins sont d’accord sur l’essentiel.

Mais il y a une question qui reste sans réponse. Ca me tarabuste, et je caresse l’espoir qu’il y aura des lecteurs pour éclairer ma lanterne. Pourquoi et comment, depuis le début de l’histoire, les crétins ont-ils réussi à entretenir l’idée qu’ils étaient plus à gauche que les traites ?


Remarque personnelle :

Ce texte aurait pu être intitulé : Les pragmatiques et les dogmatiques.


Le Larousse :

Pragmatique : fondé sur l’action. La pragmatique est cautionnée par l’efficacité.

Pragmatisme : doctrine qui prend pour critère de la vérité, la valeur pratique, considérant qu’il n’y a pas de vérité absolue et que n’est vrai que ce qui est réussit.


Dogme : opinion ou principe donnés comme intangibles et imposés comme vérité indiscutable.

Dogmatisme : rejette catégoriquement le doute et la critique. Enoncer des affirmations d’un ton tranchant, autoritaire. 

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